Lorsque j'ai acheté Ferdydurke de Witold Gombrowicz sur les conseils de Dominique bar, je ne connaissais rien de cet auteur. Mon libraire habituel me dit : je vous aurai prévenue, c'est illisible. je n'ai jamais pu terminer un seul chapitre des romans de ce Gombrowicz.
Rentrée chez moi j'ai commencé la lecture.
Premier chapitre. L'Enlèvement.
Il s'agit d'un homme de trente ans, assez immature, qui se réveille après un cauchemar. Il s'est vu tel qu'il était à quinze ans singeant l'homme de trente ans qu'il est devenu en même temps que cet homme de trente ans singe l'adolescent de quinze ans qu'il est encore. Puis, dans un demi sommeil, il comprend que son corps n'est pas unifié et que tous ces morceaux se singent entre eux. Et voilà qu'à son réveil il voit un être bizarre assis dans son fauteuil. C'est lui-même, c'est pas lui-même. En fait c'est un professeur. Pimko, c'est son nom, lit le manuscrit des mémoires qu'a écrit le héros et conclut que " il va falloir travailler un peu." Et tandis que le héros se sent rapetisser dans l'enveloppe d'un grand pédant banal de professeur, il devient un petit garçon qui donne la menotte audit professeur qui l'emmène... à l'école sans doute.
"Devant nous une élégante tenait en laisse un petit chien, le chien grogna, se jeta sur Pimko, lui déchira une jambe de pantalon. Pimko poussa un cri, dit ce qu'il pensait du chien et de sa propriétaire, arrangea son pantalon avec une épingle et nous poursuivîmes notre chemin."
J'avais réussi à terminer un chapitre. Et je décidai de poursuivre ma lecture.
Chapitres II et III. Emprisonnement et suite du rapetissement.
Attrapage et suite malaxage
Où le héros retourne à l'école emmené par Pimko, inspecteur d'académie, qui le confie au corps enseignant constitué de corps pédagogiques recrutés avec le plus grand soin et exceptionnellement pénibles et désagréables.
Le collège : "Nous étions arrivés juste au moment de la grande récréation et dans le préau se promenaient en rond des créatures intermédiaires entre dix et vingt ans qui mangeaient du pain beurré et du fromage. Dans la clôture qui entourait la cour, il y avait des fentes et, par ces fentes, des mères et des tantes regardaient sans se lasser leurs chers trésors. Par les deux tubes de son nez racé, Pimko aspirait voluptueusement l'air scolaire."
Les élèves : Ils sont divisé en deux camps. Mentius, chef de bande des gaillards affranchis, prisonniers de leur propre affranchissement gaillard. Syphon, de son vrai nom Pylaszczkiewicz, chefs de bande des adolescents idéalistes prisonniers de leur principes idéalistes.
Après un cours de poésie donné par le professeur Sang de Navet qui enfonce à coups de marteau désespérés dans le crâne de ses élèves qu'il faut vénérer les poètes parce que ce sont des poètes et où Siphon lui sauve la mise en lisant une poésie avec toute la conviction idéaliste qui est la sienne, s'ensuit à la récréation un effroyable duel à coups de grimaces entre les deux chefs de bande rivaux. Mentius, vainqueur, terrasse alors Syphon qu'il va violer par l'oreille en y enfonçant de force les mots et les phrases les plus obscènes.
Le héros, tétanisé d'horreur, chargé du rôle d'arbitre, voudrait fuir. Mais où ? D'ailleurs, comment s'échapper quand au lieu de fuir on fait remuer ses doigts de pieds dans ses chaussures et que ce remuement paralyse et anéantit tout désir de fuite ?
Un espoir ? Kopirda ? Peut-être. Il a assisté à cette affreuse bataille, assis nonchalamment, les mains dans les poches, net, alerte, léger, habile et plaisant. Et il restait là, désinvolte, croisant et décroisant les jambes et regardant l'une d'elles comme si ses jambes l'emportaient loin de l'école.
Serait-il possible, pense le héros, qu'existe un vrai garçon ? Ni un gaillard, ni un adolescent idéaliste, mais un garçon normal, grâce auquel peut-être, disparaîtrait cette terrible impuissance ?
Chapitre IV et V Introduction à "Philidor doublé d'enfant".
Philidor doublé d'enfant.
Là, je l'avoue, mon intérêt très vif pour l'histoire a flanché.
Ce n'est pas que l'auteur soit moins drôle ni moins convaincant. Il y développe toujours la même idée : nos génies respectifs sont étouffés dans l'oeuf par une éducation aussi grandiloquente que cucul la praline. Le cucul le disputant à la tête, soit dans un combat constant, soit dans une victoire totale d'un morceau sur l'autre. Alors que, même n'atteignant ni le quart de Chopin ni la moitié de Shakespeare, nos petits génies respectifs doivent être libérés. Et c'est à nous seuls que ce devoir incombe.
Mais, étouffée moi-même de logique sans doute, je trouve que l'auteur rabâche pas mal et que c'est tomber dans le piège qu'il dénonce que se livrer à ces deux exercices de style si parfaitement réussis qu'ils génèrent l'ennui.
A moins que par cet ennui qu'il nous inflige Gombrowicz ne veuille prouver que quelle que soit notre bonne volonté, on est toujours prisonnier d'une forme imposée ? Et que cette forme imposée, tout ennuyeuse qu'elle soit, a toujours raison de nous puisque lui-même y succombe ?
Il ne faut pas oublier que ce livre, résolument moderne, a été publié en 1937. Il est assez normal que l'auteur ait éprouvé le besoin de s'expliquer pour se justifier. Sans perdre pour autant son humour. Quoi de plus drôle en effet que de sacrifier à une forme qu'on réfute tout en la dénonçant ?
Chapitre VI Séduction et suite de l'entraînement vers la jeunesse.
On reprend le fil de l'histoire comme s'il n'y avait pas eu d'arrêt.
"Juste au moment le plus dramatique du terrible viol psychophysique perpétré par Mentius sur Syphon, la porte s'ouvrit et l'on vit pénétrer dans la classe le Deus ex Machina, Pimko, toujours infaillible dans toute sa personne.
"— Vous jouez à la balle, mes enfants, c'est parfait ! s'écria-t-il, alors qu'en réalité nous ne jouions pas à la balle et que d'ailleurs nous n'avions jamais eu de balle."
Puis, avisant la rougeur qui monte sur le visage pâle de Jojo, car le héros s'appelle Jojo, Pimko l'entraîne chez les Lejeune où l'inspecteur d'académie a décidé de le mettre en pension.
C'est un foyer moderne.
Le père, ingénieur constructeur. La mère, ingénieur elle-même, activiste convaincue, elle passe son temps en réunions de comités pour la défense sociale des déshérités de la capitale. Le fille, Zuta, lycéenne moderne, sportive et méprisante, n'en finit pas d'arracher la peau morte de ses bras qui pèlent après un coup de soleil.
Objectif de Pimko : faire de Jojo un éternel adolescent amoureux fou mais transi de Zuta.
Jojo, épouvanté de ce qui se trame dans son dos, subit le destin qu'on lui fabrique avec son impuissance habituelle. Fasciné autant qu'horrifié par les mollets de Zuta qui lui donne de furieux coups de pieds.
"Après tous ces gens que j'avais rencontrés depuis le matin, je tombais dans une solitude complète, sauf que tout près, dans le hall, la lycéenne tournait et remuait. Non, ce n'était pas la vraie solitude. C'était la solitude avec une lycéenne."
Chapitre VII Amour
C’était fait. Jojo était amoureux fou de la jeune Lejeune. Le coup de pied qu’elle lui avait envoyé ne facilitait pas les choses mais c’était jamais qu’un coup de pied isolé, infligé par une jambe sans la participation du visage. Et il décide d’aborder Zuta en l’absence de la mère Lejeune en réunion philanthropique.
Première tentative.
Il se fait une raie bien nette, se met un cure-dents à la bouche parce que la raie dans les cheveux et le cure-dents sont à la mode et il fait son apparition sur le seuil de la porte de l’antichambre tandis qu’elle téléphone à une amie moderne dans un langage de modernité. Et ne croyez pas qu’il soit facile de rester ainsi, un cure-dents à la bouche avec une raie bien nette, en affectant l’aisance, et de paraître agressif alors qu’on se sent paralysé. Surtout si la moderne se contente de vous demander d’un ton froid et mondain : Vous voulez téléphoner ? et poursuit sa conversation avec l’autre moderne sans plus vous regarder. Surtout si vous répondez par un simple hochement de tête qui veut dire mais ne le dit pas qu’on est venu là rien que pour être seul avec toi, moi et toi, que je suis aussi jeune et aussi moderne que toi petite Lejeune comprends qu’entre nous les explications sont inutiles. Naturellement la petite Lejeune ne comprend pas et quitte l’antichambre pour sa chambre.
Deuxième tentative.
Avec la pénombre, Jojo sent si douloureusement s’appesantir sur lui la solitude trompeuse de l’individu séparé par une simple cloison d’un autre individu avec lequel il possède une relation intellectuelle douloureuse, qu’il ouvre la porte de la chambre et apparaît en aveugle, tel une chauve-souris devant la moderne qui, penchée en avant, la jambe appuyée sur un tabouret nettoie sa chaussure avec une petite peau de chamois et lui demande à plusieurs reprises : Vous voulez quelque chose ? Tant et si bien que, se sentant définitivement exclu, il fait demi tour, s’en va et, son dos en s’éloignant ne faisant qu’exciter davantage la moderne, il l’entend dire : Bouffon !
Troisième tentative.
De retour dans sa chambre, il s’assoit humblement sur une petite chaise basse jusqu’à ce que, en dépit de sa misère et de sa fatigue, il retourne près de la chambre de la moderne, ouvre la porte et, la tête dans l’entrebâillement, dit : Très humble serviteur ! A quoi elle répond : Qu’est-ce que vous voulez ? et se dirige vers la porte.
Alors Jojo pète les plombs. Comme dans un cauchemar, il poursuit la moderne, l’accule au mur et s’aperçoit que raidie par le danger, courbée, pâle, haletante, extraordinairement silencieuse, Zuta n’a rien perdu de sa beauté. Alors il devient inhumain et va pour l’embrasser…
Final.
Des cris jaillissent de l’antichambre. Mentius, le chef de bande des adolescents gaillards, vient d’attaquer la bonne des Lejeune. Car depuis son duel de grimaces et d’obscénité avec Syphon il ne peut plus faire que des choses affreuses. Et sans laisser à l’affreux Jojo le temps de s’expliquer auprès de Zuta, il l’entraîne. Jojo a beau crier à Mentius qu’il est amoureux de Zuta. Mentius lui crie qu’il n’a aucune chance. Que Kopirda, le bel indifférent lui a déjà tapé dans l’œil. Que c’est normal. Les modernes avec les modernes.
Pourtant Mentius s’en va seul. Boire de la vodka, retrouver la bonne et courir après les valets de ferme parce qu’il aime les valets de ferme.
Jojo reste seul avec la lycéenne.
Le clair de lune argente les poussières qui, par millions, vagabondent ça et là.
Chapitre VIII Compote
Pour bien montrer la modernité déjantée du style de Gombrowicz, voici le début de cette Compote :
« Donc le lendemain matin, école… Sang de Navet, les poètes prophétiques et l’impuissance générale, l’ennui, l’ennui, l’ennui ! Et encore la même chose ! Et encore le Prophète des Prophètes, le professeur nous fatigue avec ses prophéties, il doit gagner sa vie, les élèves sont épuisés et prostrés, les doigts de pied tournent dans les souliers comme des toupies, et les chaussettes de l’archiduchesse sont-elles sèches, archi-sèches, et les chaussettes de l’archidussèche et les prophètes de l’archichaussette, on s’ennuie, on s’ennuie ! Et toujours l’ennui qui pèse, et sous le poids de l’ennui, du Prophète et du professeur la réalité se transforme peu à peu en univers de songe, ah, laissez-moi rêver ! Nul ne sait plus ce qui est réel et ce qui est inexistant, où est la vérité et où l’illusion, ce qu’on ressent et ce qu’on ne ressent pas, où est le naturel et où est l’artifice, on s’y perd et ce qui devrait être se mêle à ce qui est, chaque catégorie disqualifie l’autre et lui enlève toute justification, oh la grande école d’irréel ! »
Jojo, lui, ne rêve plus qu’à son idéal : la moderne lycéenne. Et sa gueule, c’est à dire sa tête, s’enfle comme un ballon tandis que s’écoule une litanie de jours monotones.
Kopirda continue à sourire, indifférent.
Siphon meurt. Violé par les oreilles, il ne parvient pas à se débarrasser des éléments néfastes qu’on lui avait introduits et par un bel après-midi, il se pend à un porte-manteau.
Mentius réussit à embrasser la bonne dont le frère est valet de ferme mais quoi ! zut, sapristi, bon dieu, la sœur n’est pas le frère et une domestique n’est pas un valet de ferme.
Madame Lejeune mère s’aperçoit que Jojo est amoureux fou de sa fille. Excitée par cette découverte, elle se sert du malheureux garçon comme d’une langue lui permettant de savourer les charmes de sa fille et indirectement les siens.
Pimko vient de plus en plus souvent chez les Lejeune. Mais il accorde de moins en moins d’intérêt à ce petit cucul de Jojo pour se concentrer sur la moderne adolescente. A tel point que Jojo en devient jaloux.
Zuta, mûre dans son immaturité de jeune moderne, sûre d’elle-même, impassible, accentue ses modernes attraits dont elle ne se départit jamais avec une cruauté de pie. Tandis que lui, assis près d’elle, pour elle, demeure en elle, enfermé sans recours dans une moderne lycéenne.
Quand, Dieu merci, arrive Lejeune père l’ingénieur-bâtisseur d’une nouvelle génération.
Ils sont à table et la conversation qui ne manque pas de sel s’oriente vers l’éducation moderne en général. Madame Lejeune mère demande à sa fille qui est le garçon avec qui elle est revenue de l’école et l’assure que si elle veut elle peut avoir un enfant naturel avec lui. L’ingénieur fait chorus tandis que Jojo souffre mille morts parce qu’il se doute que ce garçon, c’est Korpida. Et pour calmer sa jalousie il imagine l’accouchement, les biberons, les maladies, la teigne, les saletés, la jeune moderne transformée en grosse mémère, et se penchant vers la petite Lejeune il dit misérablement, comme pour lui-même :
¬— Mammie…
Alors, c’est le clou du chapitre, la délivrance qui s’annonce en fanfare pour Jojo : Lejeune père éclate de rire, d’une rire de gorge, les yeux révulsés. Il tousse, il rugit, se cache derrière sa serviette, égayé jusqu’à la folie par le contraste entre sa fille juvénile et la mammie évoquée par Jojo qui en rejoute :
— mammie, mammie…
— Victor ! dit sa femme furieuse.
Car il s ‘appelle Victor l’ingénieur.
Du coup, la jeune moderne s’est courbée sur son assiette et Jojo comprend qu’enfin il l’a atteinte. Que désormais elle est en son pouvoir puisqu’il a trouvé la faille où la toucher. De joie, il barbotte dans sa compote, y fourre des miettes, des restes, des détritus, des restes, des boulettes de mie de pain, touille le mélange avec sa petite cuillère et mange sa compote.
— Zuta, Victor, arrêtez-le ! crie la Lejeune mère scandalisée de voir l’amoureux de sa fille consommer n’importe quoi.
Mais rien ne peut l’arrêter et il mange toute sa compote.
Lorsqu’à la fin du repas, la famille Lejeune quitte la table, il les suit avec dans la tête un chant de victoire :
— En avant, à l’assaut, à l’attaque, vas-y, attrape-le, tue-le, mords-le, tords-lui le cou, ne le lâche pas ! Ils ont eu peur ? Effrayons-les ! Ils se sont enfuis ? Poursuivons-les. Ils craignent que je leur accommode cérébralement la jeune moderne, que je la bourre de n’importe quoi comme la compote, que je la touille, la triture…
Qui aurait cru que le rire clandestin de Lejeune père aurait donné à l’affreux Jojo le courage de résister et que la compote lui aurait tout expliqué ?
Chapitre IX
Espionnage et suite de la plongée dans la modernité.
Plus j’avance dans ma lecture et plus je suis saisie d’admiration devant l’imagination et l’audace de Gombrowics.
Auriez-vous le culot, si vous écriviez un livre, de présenter à vos lecteurs un héros offrant à un mendiant de lui doubler la mise s’il accepte de rester toute la journée à mendier devant la porte avec une branche d’arbre fourrée dans la bouche ? Moi, non. Je me demande même si l’idée m’en serait venue. C’est pourtant d’entrée de jeu ce que propose Gombrowics pour la plongée de son héros dans la modernité.
Jojo est étendu sur le canapé de sa chambre. Il réfléchit et comprend que les tourments de l’enfer l’attendent. Puisque c’est en avalant une compote gâchée de détritus qu’il a brillamment réussi à atteindre la jeune moderne, il est maintenant obligé, s’il veut la victoire, de poursuivre sa bataille dans la voie extravagante du dégoutant, de l’immangeable, de l’inassimilable. Il va devoir incarner le mauvais goût le plus absurde. Quoi de plus terrible ?
Et tandis que, devant la porte de la famille Lejeune, le mendiant stationne, une branche d’arbre dans la bouche, Jojo se livre de la plus ignoble façon à l’espionnage de la jeune moderne en suivant ses faits et gestes par le trou de la serrure. En secret d’abord. Puis poussé par une autre intuition dégoutante, il renifle. Que la jeune moderne l’entende et sache qu’il l’espionne. Ce qui ne manque pas. Elle renifle aussi. Puis, effrayée, ne pouvant plus soutenir ce dialogue nasal, elle sort son mouchoir. Renifle encore. Jojo jubile. Il tient sa proie. Il enrhume la modernité qui renifle misérablement ! Mais, elle le prend à la gorge. D’un geste large, allant d’une oreille à l’autre, elle retourne la situation en conférant une grâce sportive à ses reniflements.
Sous le choc de ce revers inattendu, à peine a-t-il le temps de bondir à bonne distance de la serrure que dame Lejeune mère pénètre dans sa chambre et l’interroge sur l’attitude bizarre qu’il a et sur la non moins bizarre attitude du mendiant au rameau dans la bouche devant sa porte. Elle soupçonne l’existence de bizarres relations entre ces choses bizarres. Elle cherche à démêler sans y parvenir les menées secrètes de l’amoureux de sa fille. Elle oscille. Comme un pendule. Puis s’en va à une séance de comité pour y puiser quelques bons éléments de modernité moderne et sociale. Jojo ne se tient plus de joie. Il a encore réussi à déstabiliser la mère Lejeune. Peu à peu une malice simiesque s’empare de lui.
La nuit tombe toujours. Le mendiant sous les fenêtres tient toujours la branche dans sa bouche. Jojo est seul dans l’appartement. Un peu de Sherlock Holmes se répand dans les pièces désertes. Une atmosphère policière se propage.
Jojo retourne au trou de serrure et constate que la jeune moderne est partie. Alors il pénètre dans sa chambre et fouille partout, découvre des lettres qu’il lit.
Jamais dans ses lettres il n’est question du corps sportif de Zuta. Ni de ses mollets.
Ce ne sont que mots brefs et modernes pour des rendez-vous modernes entre jeunes modernes, telle la lettre de Kopirda ainsi rédigée : Voici mon adresse. Si tu veux, toi et moi, c’est O.K. Fais-moi signe.
Ou bien ce sont d’autoritaires injonctions de vieillard qu’excite la jeunesse moderne : Veuillez vous présenter à mon bureau à la Faculté après demain vendredi à 16 H 30 afin de m’expliquer votre scandaleuse ignorance dans les matières du programme, etc.… lui écrit Pimko.
Chacun démolissant à sa façon catégorique le charme de la petite Lejeune, Pimko en liquidant sa sportive ignorance, Korpika en risquant d’en faire un jeune maman ?
Et elle obéirait ? Jeune fille soumise à l’autorité d’un vieux pédant ? Ou jeune moderne sacrifiant aux exigences de la modernité ?
Oh, pourquoi avoir fouillé dans ce tiroir ? Oh que l’ignorance est heureuse !
Mais vite la malice simiesque reprend toute sa virulence et, encore plein de trouble, Jojo entrevoit une ruse qu’il met aussitôt à exécution.
Imitant le graphisme net et énergique de la lycéenne, il écrit deux lettres. Une pour Kopyrda, une autre pour Pimko. Il fixe à chacun le même rendez-vous, devant sa fenêtre à elle, pour le lendemain jeudi à midi.
Que se passera-il alors ? Lorsque Pimko, fou d’espoir à l’idée que la jeune lycéenne succombe à son charme professoral autoritaire, se trouvera nez à nez avec Kopirda son jeune rival moderne ? On verrait bien.
Ce qui est certain c’est que lui, Jojo, sera présent. Qu’il ameutera la famille, découvrira l’affaire et ridiculisera Pimko au moyen de Kopirda et Kopirda au moyen de Pimko.
Car j’ai omis de dire que cet affreux Jojo est tout aussi dégoutant de méchanceté : après lui avoir arraché les pattes et les ailes il place une mouche sur la rose que Zuta avait négligemment jetée dans une de ses sandale de tennis. Conjurant ainsi, pense-t-il, le charme que la jeune moderne avait donné sans même le savoir à cette sandale toute imbibée de sa transpiration.
Chapitre XI et XII Introduction à, et histoire de Philibert Doublé d’Enfant
Cette fois, c’est à une autre figure imposée que sacrifie Gombrowicz.
Il doit respecter la loi de symétrie.
Alors il s’oblige à faire correspondre aux chapitres IV et V, Introduction à Philidor doublé d’engant et Philidor doublé d’enfant, deux autres chapitres qu’il intitule Introduction à Philibert doublé d’enfant et Philibert doublé d’enfant.
La parodie est encore plus apparente. Mais mon intérêt flanche autant.
Je préférerais qu’il renonce au respect qu’il s’impose, même pour nous amuser.
Plutôt, je ferais deux livres d’un seul.
L’un, Ferdydurke, sans interruption.
L’autre, de quatre chapitres, qui s’intitulerait De Philidor à Philibert.
Dans un autre résumé peut-être en ferai-je le récit.